La paranoïa est une maladie mentale, une psychose, caractérisée par l’importance de l’agressivité et des tendances projectives (attribution à autrui de ce qui, en réalité, est en soi). Elle a été décrite par Kraepelin (1899), puis par les français Genil Perrin (1926) et Lacan (1932). 2% à 3% de la population est concernée par cette pathologie.
Les problèmes débutent vers trois ou quatre ans par des difficultés de communication, une timidité avec les adultes et les autres enfants. Ce sont des enfants renfermés et instables. La relation avec la mère est ambivalente et parfois haineuse. Le père est peu présent et l’enfant essaye de l’éviter. Il peut y avoir une anxiété importante et non maîtrisable qui se manifeste dans des terreurs nocturnes et des craintes diverses. On retrouve des attitudes éducatives parentales inadaptées et malveillantes.
Vers l’âge scolaire apparaissent des phobies, sans déficit intellectuel, et les résultats scolaires ne sont pas perturbés. L’agressivité et la jalousie sont fortement présentes dès cet âge et se manifestent vis-à-vis de la fratrie ou des camarades. Ces enfants sont insatisfaits de leurs notes à l’école, de l’attitude des parents et des éducateurs, qu’ils estiment injustes à leur égard. Déjà, des faits insignifiants sont grossis et montés en épingle.
À l’adolescence, ce sont des jeunes se conformant à des règlements sévères, n’admettant pas la contradiction. Autoritaire et tyranniques vis-à-vis de leurs camarades, ils professent des opinions tranchées et irréfutables, adoptent des causes politiques avec fanatisme. La tendance au repli augmente. Les relations avec les autres et surtout l’autre sexe sont difficiles et conflictuelles. Ces jeunes font preuve d’un moralisme outrancier. Ils se réfugient derrière des croyances, parfois religieuses, des principes rigides.
Adulte, le paranoïaque devient alors assez facilement repérable, car les traits cliniques sont marqués :
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Le caractère paranoïaque :
Certains traits sont caractéristiques : orgueil, méfiance, susceptibilité, rigidité, irréalisme et fausseté de jugement. Il est orgueilleux et parfois méprisant pour autrui, et se considère comme supérieur. L’agressivité est importante, exprimée indirectement par une pointe de mépris, ou directement sous forme de propos désagréables, d’injures. La méfiance et la suspicion sont systématiques. Le sujet s’attend à ce que les autres lui nuisent ou l’exploitent et craint toujours une attaque de leur part. Il met en doute l’honnêteté et la loyauté de ses proches, il est presque toujours jaloux.
Il se sent facilement dédaigné, il craint qu’on lui manque de respect et parfois l'imagine quand ce n'est pas le cas. Susceptible, il tolère mal les remarques et critiques. Un désaccord, un jugement défavorable d’autrui, déclenchent colère et rancune. Le prestige et les titres sociaux, les filiations illustres, réelles ou fictives, tentent de compenser cette fragilité. Il est rigide, sans autocritique. Dur avec lui-même et avec les autres, il a des opinions inébranlables. Sa manière de penser est la seule à pouvoir exister et tout le monde doit y adhérer.
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Les conduites et relations :
Le paranoïaque donne des significations à des comportements qui n’en ont pas, il met en doute les autres et s’idéalise, avec une fausseté de jugement caractéristique. Il s'ensuit des attitudes inadaptées à la situation qui suscitent des conflits perpétuels. D’un premier abord distant, des tensions dans la relation apparaissent vite.
L’activité de l'individu est normale et parfois importante. Il peut même avoir une réussite sociale spectaculaire car son adaptation est souvent excellente. Elle disparaît seulement s’il est envahi par des préoccupations délirantes. Dans les relations hiérarchisées, il est dur envers les inférieurs, respectueux et obséquieux envers les supérieurs, et en rivalité agressive avec ses pairs. Il cherche à dominer et à grimper dans la hiérarchie et peut nuire gravement et sans remords à ceux qu’il considère comme ses rivaux ou ses ennemis (par des calomnies, des vengeances préméditées). L’autre est perçu comme étant tantôt très bon et idéal, tantôt entièrement mauvais. Il est fait peu de cas de ses caractéristiques propres. Il y a aussi une volonté d’omnipotence qui consiste à contrôler, manipuler, utiliser. La relation est grevée par la jalousie.
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Rationalisme et délire
Le paranoïaque met en place un dogme, alimenté par une argumentation et un raisonnement assertif entièrement mis au service du postulat de départ, de manière durable. Les thèmes sont idéologiques, politiques et sociaux (revendication sociale, racisme, peine de mort) ou concernent l’entourage (voisinage, conjoint). Les faits sont interprétés, les propos se tordent, pour donner une démonstration convaincante. Parfois le rationalisme se transforme en un délire car le dogme devient constant et inébranlable. Ces délires peuvent s’apaiser et reprendre spontanément, ou se chroniciser. Ils surviennent en moyenne vers 35 à 40 ans. Le délire est systématisé, vraisemblable et convaincant. Il s’alimente d’interprétations (tel fait, telle parole, prennent un sens évident pour le paranoïaque), et d’intuitions (sentiment idée immédiate venant confirmer le délire).
Le délirant accumule les faits et les preuves, rumine sans cesse et nourrit des sentiments de haine contre les « spoliateurs ». Il échafaude des plans pour les confondre, se venger. Les passages à l’acte liés au délire peuvent prendre des formes diverses : procédure juridiques, agression jusqu’au meurtre, séparation d’avec le conjoint…
Les délires concernent aussi les voisins, la famille, les entrepreneurs, les médecins, les employeurs… Après un accident, il réclamera des indemnités, une pension d'invalidité ou une rente. Il harcèlera la sécurité sociale, les experts, le responsable de l'accident, les avocats, les médecins. Toute parole ou acte extérieur est interprété en fonction de ce délire qui peut le mener à des actes violents.
Le délire de jalousie concerne le conjoint ou une simple connaissance. Chaque regard, parole, ou retard, est interprété comme la preuve de l’infidélité. Le délire peut être érotomaniaque et atteint généralement une femme qui se croit aimée par un tiers (souvent d'un rang social élevé). Le point de départ peut être un regard, une parole, etc... Ensuite la patiente construit une histoire dans laquelle elle est courtisée. D'autres délires organisés auront pour thème la politique, la religion, la justice…
. L’évolution
L’âge mûr apporte peu de changement pour le paranoïaque. Les traits de caractère s’accentuent, se rigidifient et se figent. La tendance délirante reste la même. Dans la vieillesse, la baisse des facultés intellectuelles donne libre cours au délire en même temps qu’elle le rend moins convaincant et moins élaboré.
- Conduite à tenir :
Les paranoïaques ne sont pas demandeurs de soin. Le psy le rencontre généralement à l’occasion de soins somatiques, ou de délires graves qui nécessitent une hospitalisation, ou dans la circonstance d'une expertise après un crime. Lors de la consultation, il faut se montrer très prudent afin de ne pas donner prise aux interprétations (ce qui est parfois impossible). Les propos tenus devant le paranoïaque doivent être très explicites et exempts de plaisanteries ou de double sens. Il est utile de se prémunir en utilisant tous les garanties légales et institutionnelles possibles : respect scrupuleux des procédures, des règles de sécurité. Il peut être utile se faire accompagner d’un autre soignant.
Dans les formes délirantes dangereuses, il est parfois utile d’avoir recours à la police et à l’autorité judiciaire. C’est à cette rare occasion que les paranoïaques sont hospitalisés. Le paranoïaque estime généralement que son hospitalisation est abusive. Durant celle-ci, il essaye d’alerter l’opinion ou les autorités et, après, il tentera de mettre en route une procédure vengeresse.